samedi 2 mars 2013

Le Big Bang de l’amour


Il faut dire que   nos grands parents habitaient une maison plutôt inhabituelle dans ce coin reculé de la terre où tout était à l’envers.
 Rien de bien facile pour tous ceux qui ne rêvait point… mais notre jeune âge nous permettait de nous y rendre  aussi souvent que nous le souhaitions. Ainsi lorsque nous allions chez eux, nous nous sentions comme en apesanteur, suspendus dans le temps, et nos yeux d’enfants ne pouvaient que s’émerveiller de passer la petite porte du fond du jardin où demeuraient nos aïeuls.
Mon frère et moi nous aimions bien nous rendre chez eux le temps d’un rêve éveillé et lorsque d’un clin d’œil il m’invitait à courir jusqu’à cette  petite porte, pas plus haute que trois pommes, je ne me faisais pas prier pour le suivre.  Nous avancions fiévreusement jusqu’à  cette  cabane à l’envers  et retrouvions avec joie  Grand Papa et  Grand Maman.  A la porte des arcades, juste avant de passer le ruisseau magique et d’entrer dans ce domaine fantastique,  un oiseau nous demandait le mot de passe, alors nous  lui lancions joyeusement  dans un cri commun « perlimpinpin ».  La magie faisait le reste. Nous nous retrouvions une fois ce ruel traversé et cette porte ouverte, entrain de débarouler   dans les herbes hautes avec l’impression de voler, ébahis par cette légèreté qui nous faisait flotter dans l’air et nous tournait dans tous les sens comme des cosmonautes en route pour le paradis. Nous étions au verso de la terre, la tête en bas, le sol devenait le ciel et tous les arbres plongeaient dans l’immensité du vide échangeant leur racine contre leur cime. Un monde à rebrousse poil, un monde sans dessus dessous nous tendait les bras et nous ravissait, nous courions sur les nuages jusqu’à la maison suspendu dans cette atmosphère qui du coup nous semblait être  la seule chose à l’endroit dans cet univers.
Arrivés sur le perron, de cette petite maison flottante, nous hurlions de rire et appelions grand maman tout excités que nous étions…
Toute petite, un teint de rose,  elle marchait d’un petit pas tranquille, avec accrochée sur son visage ce petit sourire qui grandissait et se rétrécissait mais  jamais ne se figeait. Grâce à  ce sourire comme épinglé sur sa figure,  il se dégageait d’elle une douceur qui n’appelait que les câlins et l’envie de se jeter dans ses bras en passant à peine le seuil de sa petite maison. Les bras accrochés autour de son ventre nous nous régalions d’amour et rivalisions l’un l’autre, pour recevoir de sa part la caresse inoubliable dans nos tignasses blondes.
-          Mes amours, mes chéris, disait-elle tendrement, vous voici enfin, je vous ai préparé un gâteau, venez vite, approchez, il est encore tout chaud… Mon frère et moi, en salivions d’avance, connaissant les talents culinaires de notre fabuleuse grand-maman.

Attablé, une serviette à carreaux rouge et blanche autour du cou, nous attendions avec impatience la cérémonie du goûter.  Les narines dilatées par l’odeur de la pâtisserie qui envahissait la pièce, nous n’osions à peine parler et nous contentions de nous lancer des œillades de plaisir. Grand maman s’activait autour de nous, plaçant les assiettes et les couverts sur les sets assortis à nos serviettes. Elle nous coupait une part de cette fameuse tarte renversée dont elle était la reine. La bouche pleine, les papilles ravies, les pommes fondaient sur notre langue, nous nous délections de ces saveurs. Grand maman, fidèle à ses habitudes, assise près de nous, nous regardait amusée de notre plaisir.
-          Grand maman, raconte nous encore comment ta maison s’est retournée ? dit mon frère entre deux bouchées.
-          Mais je vous l’ai déjà raconté cent fois, se fit prié grand maman, mais devant nos sourires béats et ses deux petits enfants près à écouter une cent et unième fois la même histoire, elle sourit et commença :
-          C’était il y a très longtemps, vous n’étiez pas encore nés, j’ai eu la chance de rencontrer un charmant jeune homme qui est devenu ensuite votre grand père. Il était tellement amoureux de moi que je pouvais lui demander n’importe quoi ! et tout en disant cela, grand maman rougit un peu, puis continua, j’avoue que j’en ai un peu abusé… dit elle en prenant un air ravi.
-          C’est quand tu lui as demandé « la lune » répondis-je, raconte nous encore grand maman !
-          Oui, c’est ce jour là que tout a basculé… c’était un jour de printemps,  nous étions si heureux que lorsqu’il me dit :  « pour toi je décrocherai la lune », et bien je l’ai pris au mot, et lui ai demandé de le faire… il fut bien ennuyé au départ et essaya de s’esquiver me proposant mille autres choses à me trouver pour me faire plaisir, mais je me pris au jeu de cette demande et insistait pour que ce soit la lune qu’il décroche pour moi.
Et bien figurez-vous les enfants, nous dit-elle, prenant cet air mystérieux que nous adorions,  alors que nos yeux s’arrondissaient et que  nos oreilles grandes ouvertes attendaient la suite, et bien figurez-vous reprit-elle, que votre grand papa, mon amoureux chéri une nuit a décroché la lune. Il est monté sur une immense échelle et lorsqu’il est arrivé tout en haut de la dernière marche, elle est littéralement tombée sur lui. Il l’a rapporté en descendant les barreaux un par un et lorsqu’il a posé la lune sur le bord du chemin, en touchant la terre, il s’est passé quelques choses d’extraordinaire…
-          « la terre s’est retournée » murmura mon frère… c’est incroyable grand maman, c’est comme un nouveau big bang… on en a parlé à l’école, c’est le jour où la terre s’est formée il y a des millions d’années, le professeur nous a expliqué que c’était l’origine de notre planète et…
-          Et bien tu sembles bien calé mon chéri, répliqua grand maman, pour nous, ce « big bang » dont tu parles était d’un autre ordre, tout s’est retourné, le sol est devenu le ciel et grand papa a du reconstruire notre maison pour la remettre à l’endroit dans cet univers à l’envers…mais l’intérêt de tout ça c’est que votre grand père et moi , nous sommes les plus heureux du monde depuis toutes ces années que nous avons vécu dans notre petite parcelle de terrain retirée du reste de la planète et ça nous a permit de remettre à l’endroit tout ce qui était à l’envers dans notre vie… Grâce à cette magnifique explosion, nous n’avons jamais manqué de rien et l’amour a été pour nous le fil conducteur de notre existence…
-          Comme c’est beau, reprit mon frère, si tout le monde décrochait la lune par amour pour quelqu’un, comme le monde entier serait beau !
-          Et bien c’est  à chacun de suivre ce chemin, en attendant les enfants, il se fait tard, rentrez vite et revenez demain….
Nous partions à regret comme chaque fois que nous quittions ce jardin enchanté et retrouvions nos parents  qui se demandaient chaque fois ce que pouvait bien nous raconter nos grands parents, en voyant nos mines réjouis et nos airs rêveurs.

1 commentaire:

  1. C'est ... renversant! Un jeu de mots bien facile, mais qui contient du vrai.

    Merveilleuse histoire d'une existence possible dans le monde du pas comme les autres, d'un amour plein d'enthousiasme...

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